refractions

Elle fait face a sa pinte, majestueuse comme toujours Elle a fait tout ce chemin pour moi, sortie dans la nuit et le froid, affronte ce putain de metro...pour me voir, mais surtout parceque j'avais besoin de la voir. Elle fait jouer ses doigts sur le verre. Elle a fait une couleur a ses cheveux, ca lui va tres bien. Ses yeux bleus sont encore plus meurtriers. Elle parle d'elle, de nous. Elle m'ecoute l'aimer a voix haute. Elle est ailleurs, lasse, pas vraiment concentree, mais elle fait du mieux qu'elle peut. Je suis extenue, le visage mal rase, les cheveux en bataille, deja trop longs. J'ai froid, je me recroqueville. J'ai l'air d'une ruine.
Les gens du bar nous regardent, ou plutot, la regardent elle, et puis moi. Et ils se demandent bien, comme a chaque fois que l'on se retrouve dans un lieu public : "mais qu'est-ce qu'elle fout avec un mec pareil? C'est pas possible, ils ne peuvent pas etre ensemble ces deux la! Regarde le style de la fille. Regarde ce pauvre gars! Il va se prendre un rateau c'est sur!". Je ne les entends plus. Elle a allume une cigarette et inhale une bouffee en ouvrant tres legerement les levres, puis me regarde avec bienveillance entre deux baillements. Toujours distante, deja partie, mais encore respectueuse. Hypnotique.
J'ai envie de lui demander. Je n'arrive pas.
On finit nos verres. Elle doit rentrer. Beaucoup de choses a faire. Un coup de fil a sa famille, des fringues eparpillees sur son lit a ranger. Son lit. J'ai des souvenirs coupables. Elle part aux toilettes. J'en profite pour regler l'addition. Nous sortons du bar. Elle est si proche, mais elle rentre chez elle. On va se dire au revoir. Bientot, je pourrais l'enlacer, sentir son parfum, ses cheveux, sa peau, et ses bras autour de moi. Encore quelques metres. J'ai besoin d'une reponse. Je stoppe net la marche juste devant les escaliers du metro.

"- Tu vois quelqu'un en ce moment?
(Elle baisse les yeux. Elle sait qu'elle va faire mal)
- En fait, je revois S. depuis quelques temps.
Aie
- C'est serieux, cette fois?
- Non, toujours pareil. On passe des bons moments, c'est tout. J'ai surtout besoin de ca pour l'instant.
- je comprends."

Je mens
Silence gene.
Quelque chose veut dire "Et moi?" a l'interieur. Rien ne sort. Je tourne les talons et je trace comme un derate en me forcant a oublier immediatement les trois dernieres secondes a chaque fois qu'elle crie mon nom dans la rue. Moi aussi je sais faire mal. C'est fini. Je ne la reverrais plus.
Au moins quelques heures.
Ce genre de chose, ca ne finit pas aussi facilement.

Je m'enfonce dans le froid des rues. Un couple qui etait avec nous dans le bar me croise. Je crois entendre la femme dire a son homme.

"tu vois, je t'avais dit qu'il se prendrait un rateau."